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18 décembre 2010 6 18 /12 /décembre /2010 23:34

À propos de la photographie Le parapluie rouge  de Saul Leiter


 

« Le parapluie rouge », c'est le titre d'une image photographique de Saul Leiter. En fait, il y a au moins deux photographies de cet artiste qui portent ce titre, l'une est datée « vers 1957 » et l'autre « vers 1963 ». Celle que j'aime particulièrement est la première1. Elle a un format vertical, comme de nombreuses photographies de Leiter, et c'est un décor urbain sous la neige. Il neigeait au moment de la prise et l'image est brouillée par le fin granité des flocons. L'objectif a été placé bas : presque toute la hauteur est occupée par la vision du sol enneigé, celui d'une large rue qui tourne depuis le coin droit pour emplir l'espace et se diriger vers le centre de l'image puis disparaître au terme de sa courbe sur le bord droit, ne laissant dans la partie supérieure du cadre qu'une bande étroite où l'on aperçoit le soubassement de maisons au bord d'un trottoir blanchi. C'est donc une image sans horizon, largement consacrée à l'état d'une bouillie neigeuse, déclinée dans des tons gris jusqu'au blanc, parcourue de traces et de trainées mêlées, un peu floue vers le bas, au plus près de l'objectif, et plus nette dans sa partie médiane. Le parapluie rouge, qui donne son titre à la photographie, se trouve tout en haut du bord droit, au-dessus de la courbe par laquelle disparaît la rue – ou par laquelle elle se poursuit hors cadre -. Ce n'est d'ailleurs qu'un pan de parapluie, il est comme fendu en deux par le bord de la photographie, et l'on distingue un fragment de vêtement et le bout d'une chaussure qui doivent revenir au porteur du parapluie, une femme, comme le laisse supposer la couleur de l'objet ou l'autre photographie, celle de 1963, où le personnage apparaît plus visiblement.

La couleur chaude du parapluie, bien qu'atténuée par la chute neigeuse, contraste avec le décor aux tons étouffés et le désigne à l'attention, de même le fait qu'il ait été retenu pour donner son titre à l'image. Il n'est donc pas à proprement parler un détail en dépit de sa situation marginale. C'est un peu commesi le photographe avait inopinément découpé le paysage réel où il n'y avait rien (rien, c'est à dire ces choses : la neige, la boue, les pieds gris d'arbres devant les murs) pour faire apparaître ce parapluie. Cet accessoire fait événement dans l'image et signe non pas tant la présence du personnage qui le porte que celle du photographe lui-même.

C'est ce détail, comme l'explique Daniel Arasse2 à propos de peintures, qui donne ici le sentiment d'une intimité. Saul Leiter a d'ailleurs d'abord été peintre. Il saisit par une couleur, un reflet, un fragment sensible du réel. Mais ce n'est pas tout. On se trouve devant une telle image confronté au silence. Peut-être est-ce la neige qui induit cette sensation, ou le souvenir de ce passage du Roman du Graaloù Perceval s'absorbe dans la contemplation de gouttes de sang dans la neige fraîche... Peut-être, mais pas seulement. Ou plutôt, il faut accepter de regarder sans voix, comme Perceval, une apparition. On se trouve alors au cœur même de l'expérience où s'origine le haïku, à la limite du dire. Oui, cette photographie, Le parapluie rouge, est un haïku en image.


 

1Saul Leiter, Photo Poche-Actes Sud, 2007, Photo n°20.

2Daniel Arasse, Le Détail, pour une histoire rapprochée de la peinture, Flammarion, « Champs », 2008.

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